Descorches de Sainte-Croix

Descorches de Sainte-Croix

L’inaltérable préfet de la Drôme

Marie-Louis-Henri Descorches voit le jour le 17 septembre 1749 dans le château familial, de Sainte-Croix-du-Ménil-Goufroy, dans l’Orne. C’est loin de Valence. C’est avec le titre de marquis de Sainte-Croix qu’il s’engage dans le régiment de Bourbon-infanterie. Sous-lieutenant à 17 ans, il est officier à 18, mais il est contraint d’abandonner l’armée car il est complètement myope. Il rejoint alors les Affaires étrangères.
En 1775, il épouse la sœur de l’avocat général Talon qui lui donnera quatre enfants. En 1780, il entame une brillante carrière diplomatique. Ministre plénipotentiaire à Liège il obtient l’Ordre de Saint-Louis, puis sous la Révolution, il sert successivement à Paris, en Pologne et à Venise avant d’être promu maréchal de camp. En juin 1793, Descorches part pour Constantinople. Il est commissaire civil pour le Levant et c’est lui qui déploie pour la première fois le drapeau tricolore en Turquie. Face aux atermoiements des politiques français, il abandonne son poste, en avril 1795, pour rejoindre la Saxe.
En juillet 1798, Descorches est à nouveau nommé sur les rives du Bosphore en qualité d’ambassadeur. Il doit négocier cette fois une alliance entre la France, la Turquie, le Danemark et la Suède contre la Russie. Sa mission est vite annulée par la Turquie qui est entrée en guerre contre la France puisque nous sommes au moment de la campagne d’Égypte.
En février 1800, Descorches est à nouveau désigné par Bonaparte en qualité de plénipotentiaire pour aller en Égypte traiter de la paix. Alors qu’il s’apprête à partir, il reçoit le traité signé à El-Arich le 24 janvier. Décidément, l’Orient ne lui est pas favorable3 tentatives, 3 échecs. Déçu, il annonce au Premier consul sa volonté d’abandonner la carrière diplomatique. Mais c’est un homme de valeur et le 2 décembre 1800, Bonaparte le nomme préfet de la Drôme, à la suite de Collin de Sussy qui vient de recevoir la préfecture de Seine-et-Marne. Descorches, rejoint donc Valence le 3 février 1801.
Il a 51 ans va passer 15 ans sur les bords du Rhône ! Au début, la Drôme, qu’il considère comme un «de sac», ne l’enchante guère. Le mistral l’horripile, les Valentinois des désœuvrés, des piliers de cafés, les maires savent à peine signer. Les Drômains sont apathiques, paresseux. Les tribunaux faibles, les juges de paix peu représentatifs, les prêtres ingérables et la plus grande ignorance règne dans les campagnes et dans les villes.peu engageante il est vrai mais hormis le mistral plus rien n’est vrai aujourd’hui
Heureusement, au contact d’une population laborieuse, et d’un entourage motivé, Descorches change vite d’avis. Efficace, il attache son nom à toutes les améliorations opérées de 1800 à 1815. On peut citer le canal qui relie Clansayes à Saint-Paul-Trois-Châteaux, les digues de Bourg-lès-Valence, le chemin de halage de Loriol, la création des ateliers pour les enfants et les pauvres de l’Hôpital de Valence, le projet de pont à 10 arches qui doit franchir le Rhône à Valence, le projet de canal parallèle au Rhône, la mise en œuvre de la vaccination contre la petite vérole. Sa tâche est immense puisqu’il doit gérer les sous-préfectures, proposer les membres du Conseil général et nommer les 362 maires du département. Il participe entre autres à la création de La Compagnie de pompiers de Valence, fait rédiger les Notices des Hommes célèbres de la Drôme, et lance un projet qui n’aboutira pas pour l’érection d’une statue en bronze de Napoléon (Nous l’avons menée à bien 210 ans plus tard). Descorches organise également les hospices, le reboisement des forêts, la construction de la route reliant Die à Gap et délimite, non sans mal, la frontière avec l’Ardèche.
Grace à sa détermination, qui est immense, Descorches rétablit la tranquillité publique et le fonctionnement des institutions mises à mal par la Révolution. Il instaure un tribunal spécial pour juger sans délai crimes et délits ce qui lui permet d’éliminer la majorité des brigands de la Drôme. Le 2 décembre 1802, il conduit la délégation des 50 Drômois qui assistent à Paris au couronnement de l’Empereur. Tout comme Napoléon, le préfet drômois est fasciné par les ponts. En 1803, il lance une adjudication pour la réparation de treize ouvrages situés entre La Coucourde et Montélimar. En 1806 il fait ouvrir le pont de Montélimar qui enjambe le Roubion et en 1810 celui de Pont de l’Isère qui sera détruit par Augereau.
Descorches préconise un regroupement des communes mais il n’est pas suivi. Il réorganise les octrois et les droits réunis, lance la confection du cadastre, met à jour les listes des émigrés, toutes mesures très impopulaires. Il organise les différentes levées de conscription, ce qui enlève 17hommes au département et désorganise les travaux des champs. Il existe des moyens plus faciles de se faire aimer. Il est nommé chevalier de la Légion d’honneur le 14 juin 1804, et devient encore président de la Société d’agriculture de la Drôme.
Descorches est parfois un peu naïf. Lorsqu’il attribue la misère de certains habitants à leur avarice «’ils vont jusqu’à marcher pieds nus pour épargner leurs souliers». Lorsqu’il s’oppose aux distributions de nourriture «susceptibles de dégénérer en prime d’encouragement pour la paresse et la mendicité.» Lorsqu’il interdit l’usage des cloches pendant les épidémies, lorsqu’il donne l’ordre d’arrêter les mendiants qui circulent hors du canton de leur domicile ou lorsqu’il préconise d’emprisonner les filles de mauvaise vie pour combattre les maladies vénériennes.
En 1810, la Drôme compte 284 000 habitants et Valence 8 000. Descorches perçoit un traitement de 4 classe qui se monte à 20F. Par comparaison l’état accorde 9F aux maisons de détention et 5F aux dépôts de mendicité. Cette année 1810 est terrible pour le préfet de la Drôme. Le 12 janvier, son fils aîné Henri est assassiné à Corfou. Il n’avait pas 30 ans. Le 11 octobre, son troisième enfant Charles, général de brigade et comte de l’Empire est tué au Portugal. Il avait 28 ans et Napoléon s’apprêtait à le nommer maréchal Et ce n’est pas fini puisque, le 7 septembre 1812, son dernier fils Robert à une jambe emportée par un boulet au cours de la bataille de La Moskova. Face à tous ces malheurs, Napoléon ne l’oublie pas. Il le nomme successivement baron de l’Empire puis officier de la Légion d’honneur.
On retiendra encore que c’est Descorches qui fait venir à Valence le buste en marbre blanc de Pie VI en 1812. En 1814, les défaites désorganisent les administrations officielles et lorsque la Restauration succède à l’Empire, l’ex-ambassadeur s’adapte comme bien d’autres aux circonstances. Il se remet à signer Marquis Descorches de Sainte-Croix mais n’adhère qu’avec scrupules à la Monarchie. Aux Cent-Jours il revient vers l’Empereur sous le nom de Baron Descorches et tente de se construire une nouvelle légitimité. Bien qu’il ait fait porter des toasts à la gloire de l’Empereur, il se voit exclu de la direction de la Drôme et remplacé par le préfet Desgouttes en avril 1815.
Nommé préfet à Carcassonne, il prend cette nomination comme une disgrâce déguisée et met un terme à sa carrière après avoir offert ses services aux Bourbons. Il est mis à la retraite le 16 mars 1816 et se retire définitivement dans le château qui l’avait vu naître. Il y décède le 2 septembre 1830, à 81 ans, au lendemain de la Révolution de Juillet.

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