Texte conférence Claude Meunier jeudi 10 janvier 2013/Stendhal et Napoléon
Je vais vous dire en introduction ce que cette conférence ne sera pas : -ce ne sera pas une conférence d’historien, pour la bonne raison que je ne suis pas historien, que je n’y connais pas grand chose, que je ne suis pas un homme d’archives inédites, et que sur le sujet de Bonaparte, que ce soit à Valence ou ailleurs, vous en savez plus que moi. Anecdote de la foire à la caillette de Chabeuil…
Donc, pas de Stendhal et Bonaparte, dates et circonstances, se sont-ils rencontré (peut-être), ont ils eu des maîtresses communes (non) et les détails de la carrière de Stendhal, consul de l’Empire en Italie. Mais je ne traiterai pas non plus de Napoléon dans l’œuvre autobiographique de Stendhal. Vous savez qu’il a écrit de très nombreuses chroniques, avant ses grands romans de fiction : Vie de Rossini, Vie de Napoléon, Chroniques d’égotisme, Chroniques italiennes etc…Je n’en traiterai pas 1-je n’ai pas le temps, 1/2 heure, c’est très court et 2-il faut bien dire que Stendhal entretient avec la réalité-et l’histoire-des rapports très complexes, très difficile à démêler.
Dans sa Vie de Napoléon, par exemple, il y a très peu à tirer pour l’étude de Napoléon. Ce sont la plupart du temps des récits de commande, d’essence et de teneur journalistiques, où Stendhal parle plus de Stendhal qu’il n’approfondit l’étude du sujet proposé. pareil pour la vie de Rossini.
Alors quoi, de quoi est ce que je vais parler ?
Je vais m’intéresser à la fiction stendhalienne, examiner les rapports qu’elle entretient avec l’histoire napoléonienne.
Je vais partir du début de la Chartreuse de Parme, des premiers chapitres, pour essayer de montrer que Stendhal se sert de Bonaparte, et de Napoléon comme un idéologue, et pas comme un historien. Bonaparte comme ferment romanesque, si vous voulez, comme support esthétique. Ce n’est donc pas Fabrice qui pourra vous servir de documentation pour votre étude Waterloo.
Parce que si voulez un récit de Waterloo, ce n’est certainement pas ce pauvre Fabrice Del Dongo qui pourra vous éclairer : il assiste à la bataille en se demandant si c’est justement une bataille ( il répète ça sans arrêt, est ce que c’est bien une bataille (sous entendu ; suis je un héros ? par un effet de perspective romanesque…) sans y rien comprendre. Explication du morceau de bravoure…et pourquoi c’est un morceau de bravoure, ce qui fait son originalité profonde : ce qui frappe, c’est la candeur de Fabrice, qui ne traverse la bataille que par hasard, grâce à la protection d’une cantinière, et qui finit par s’endormir lourdement, sans comprendre.
Quand il se réveille, les français sont en déroute, c’est la pagaille. On voit que le point de vue de Stendhal n’est en RIEN celui d’un historien.
Or donc que, la Chartreuse de Parme débute par l’occupation de Milan par l’armée d’Italie. Court résumé de la Chartreuse.
Pas de description de bataille, pas de description de Milan en 1796, pas d’explication politique. Non Stendhal se contente d’établir, sans l’expliquer un véritable changement de mœurs dans l’Italie libérée des Autrichiens ; il écrit : «une masse de bonheur et de plaisir fit irruption en Lombardie avec ces français si pauvres» Pauvres ici, ça veut dire que Bonaparte ne remplace pas un ordre aristocratique par un autre. Non, ce sont des armées de citoyens : ce qui intéresse Stendhal, c’est que ce sont des armées égalitaires, et surtout jeunes. Elles sont sans le sou, peu établies, riches seulement de leur enthousiasme et de leur jeunesse et, «l’histoire du lieutenant Robert fut un peu celle de tous les Français : au lieu de se moquer de la misère de ces pauvres soldats, on les aima.»
On les aima tant, que le lieutenant apparait bien comme le père de Fabrice, qui nait à la fin des deux années d’occupation françaises. Le lieutenant Robert et non pas l’affreux marquis Del Dongo, autrichianiste et avare, enfermé dans sa citadelle du lac de Come. Le vieux Del Dongo est un réactionnaire, caricaturé, un grotesque.
C’est cela, le vrai principe stendhalien : le héros du roman est l’enfant illégitime de la grâce italienne et de la jeunesse, de l’allant des jeunes français venus de la Révolution : Fabrice y trouvera sa vocation, strictement stendhalienne : une attirance pour le bonheur et le libre accomplissement de soi.
Il ne s’agit donc pas de faits historiques, et de leur exposé, mais des traits de caractère, et de leur étude, de la destinée de ces caractères. Ce qui compte ici, de Bonaparte, c’est le principe actif, c’est qu’il soit libérateur, que ses armée aient enfanté d’un héros moderne . La vraie question de la Chartreuse, c’est bien : comment être le héros d’un roman moderne, qu’en est-il du héros classique, du héros de la tragédie ? Comment renouveler cette figure du héros ?
La parenthèse Bonapartiste à Milan a permis au moins cette naissance d’un héros. Comme dans la tragédie classique, il y a bien un mythe des origines, avec le mystère de la naissance de Fabrice ; il y a bien une âme élue, distinguée, aimée, belle et radieuse ; il y a bien une grâce, une énergie stendhalienne, une vertu romaine, que Stendhal expose dans ce début de la Chartreuse. Il y a bien tout cela, mais qui vient butter sur Waterloo, sur la grande pagaille de Waterloo, comme si Stendhal voulait faire la preuve que le
héros chevaleresque est inadapté, idiot, maladroit et inutile dans la bataille, égaré dans le monde moderne. Il ne représente plus que lui-même.
On ne peut plus être un héros classique par les armes, y compris pendant la période napoléonienne, c’est ce que montre Stendhal
. Les grands romanciers du XIX e vont faire la même découverte : la place du héros est devenue pathétique. La période de libération aura été de courte durée. J’ai bien cherché, ; le bonapartisme de principe, à l’œuvre chez Stendhal, on ne le trouve que dans ce début de la Chartreuse. Après, ça se gâte les héros stendhalien seront en butte à la Restauration, à la France de la Monarchie de
juillet et du juste milieu, l’affreux juste milieu. Fort contraste avec Lucien Leuwen qui ne déroule qu’un héroïsme de caserne, dont le haut fait est une campagne électorale trafiquée par Lucien. Et d’ailleurs Lucien Leuwen sera inachevé.
Voilà, je suis allé trop vite, bien sûr, mais je vous ai donné des pistes de recherches, des solutions qui suivent votre goût pour Bonaparte. En rentrant chez vous, vous pouvez décider de reprendre Stendhal et de le relire en vous disant : Bonaparte n’y est pas décrit, mais j’y vais quand même : cherchons ce Bonapartisme romanesque, ce principe actif.
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