Père Fondateur

Conférence prononcée à Valence par M. Charles Napoléon le 11 septembre
2010 dans le cadre des Rencontres Historiques”

Charles Napoléon, docteur en Sciences Economiques, Université Paris I

NAPOLEON, PERE FONDATEUR LA REPUBLIQUE


J’ai toujours été surpris que Napoléon soit absent des manuels traitant de l’histoire de la République comme des affiches présentant la galerie de portrait des chefs d’Etat depuis le début de la République. Je sais que cet étonnement est partagé par des historiens étrangers, anglais notamment, peu suspects de sympathie à son égard. Je vais essayer de vous expliquer pourquoi.
Pour nier le caractère républicain de son œuvre, ses adversaires mettent en avant l’absence de participation du peuple aux décisions de son gouvernement, son caractère dictatorial, l’instauration de l’empire héréditaire en 1804. Que valent ces arguments ?
Plan de l’exposé :
1 – Depuis la société athénienne, République rime rarement avec Démocratie.
2 – Si les institutions napoléoniennes n’ont pas fait la part belle à la souveraineté nationale il est abusif de dire qu’elle en a été entièrement absente.
3 – Une république sous les ors de l’Empire.
4 – Les sources du déni sont à chercher dans les orientations politiques des bonapartistes au début de la 3ème République.

Historiquement République ne rime pas avec Démocratie

La République est un système politique dans lequel la souveraineté appartient au peuple soit directement soit par l’intermédiaire de représentants élus. La légitimité de la Monarchie procède de l’hérédité et, en France, sous l’ancien régime, du droit divin.
Dans la cité grecque idéalisée, les termes de République et de Démocratie sont synonymes.
De multiples exemples démontrent qu’il y loin de la théorie à la réalité et que le lien entre République et Liberté n’a rien d’automatique à commencer par le fonctionnement réel de la cité athénienne qui était en réalité une République aristocratique (du grec, aristos, meilleur, excellent, et kratos, le pouvoir, l’autorité).
La République romaine qui désignait chaque année ses consuls comme les Républiques de Gênes ou de Venise leurs Doges étaient des républiques patriciennes où le pouvoir n’appartenait pas au peuple mais à une oligarchie de citoyens.
République romaine dont Bonaparte magnifiera les vertus et admirera son magistrat le plus fameux : Jules César, général, consul, proconsul puis dictateur à vie avant de terminer sous le stylet de Brutus qui voulait l’empêcher de se faire roi. Ce coup salvateur des libertés ne peut faire oublier que le régime de César n’avait en rien respecté la liberté de ses citoyens qu’il gouvernait avec une poignée de fidèles et de nombreux clients pour à son profit exclusif.
Plus récemment, il y eut la République monarchique. L’expression est de Maurice Duverger, juriste et professeur de droit, pour désigner le régime du général de Gaulle. Son pouvoir personnel cadrait parfaitement avec l’image d’un monarque républicain. Ses successeurs ont amplifié ses pratiques. L’actuel Président de la République gouverne sans avoir de compte à rendre au Parlement.
A l’inverse des exemples qui précèdent, certaines monarchies constitutionnelles, à l’exemple de l’Angleterre, font référence en matière de libertés individuelles et publiques. L’Habeas Corpus existe en Angleterre depuis 1679. En remontant dans le temps, on voit que le principe électif était à la base de la désignation des monarques en France avant l’avènement des Capétiens et que les rois de Pologne étaient plus récemment encore désignés par le suffrage de leurs pairs.

En France, les monarchies de l’ancien régime ne sont jamais parvenu à accepter le principe de contre pouvoir (voir les débats pour la convocation des Etats-Généraux et l’hostilité du roi à accepter leur transformation en Assemblée Nationale). Elles sont donc restées des monarchies absolues. Louis XVI en a perdu le sceptre et la tête. Son frère cadet Louis XVIII et ses deux successeurs ont bien tenté de rattraper le retard, mais la République aura pris le pas et leurs personnalités médiocres décevront leurs partisans. Ils seront renversés par le peuple de Paris en 1830 et 1848.
La Première République (septembre 1792 et mai 1804) est le régime sous lequel Bonaparte a gouverné la France pendant 5 ans. Elle n’est pas exemplaire en matière de liberté. Bonaparte fera croire que c’est pour la sauver de la tyrannie qu’il fait le coup d’Etat de Brumaire !
L’abolition de la royauté (depuis le 4 septembre 1791, monarchie constitutionnelle) date du 21 septembre 1792, de la première séance de la Convention nationale qui vote à l’unanimité.
Elle est proposée par le député de Paris, Jean-Marie Collot d’Herbois qui ne rencontre guère de résistance. Écoutons L’abbé Henri Grégoire, évêque constitutionnel de Blois tonner : Qu’est-il besoin de discuter quand tout le monde est d’accord ? Les rois sont dans l’ordre moral ce que les monstres sont dans l’ordre physique. Les cours sont l’atelier du crime, le foyer de la corruption et la tanière des tyrans. L’histoire des rois est le martyrologe des nations ! La République est née.
La 1ère république se divise en 3 périodes :
– la Terreur, de septembre 1792 à juillet 1794, où l’essentiel du pouvoir appartient au Comité de Salut Public dominé par les Montagnards ( 6 avril 1793- 27 juillet 1794). Le procès du Roi commence devant la Convention le 11 décembre 1792 (exécution le 21 janvier 1793) et marque le début d’une lutte à mort entre Girondins et Montagnards pour le contrôle de l’Assemblée et de la Révolution. La chute de Robespierre, le 8 thermidor an II (26 juillet 1794) marque la fin de cette période.
– Le Directoire, entre le 26 octobre 1795 et le 9 novembre 1799, fondé sur la Constitution de l’an III.
– Le Consulat, régi par la Constitution de l’an VIII entre le Coup d’État du 18 brumaire et le couronnement de Napoléon Ier (10 novembre 1799 au 18 mai 1804) .
Quelle est l’originalité de ces gouvernements ?
Pour la première fois en France est fondé un régime politique qui confie la souveraineté au peuple.
Les premières élections avaient auparavant désigné l’Assemblée Législative de 1791 (suffrage censitaire sur 24 millions de citoyens, 4,3 sont appelés aux urnes) puis la Convention de 1792 qui avaient appelé 7 millions de citoyens aux urnes (moins de 1 million se déplaceront).
Dans la tradition politique française, il y a une sorte de transitivité entre Liberté, Égalité et Fraternité. C’est l’abolition des privilèges et la lutte contre les inégalités (Égalité) qui guident les révolutionnaires de 1789, plus encore que la conquête des libertés. Qu’est-ce que la Nation ? (Renan) : la volonté de vivre ensemble (Fraternité) au-delà des différences d’origine, de religion et de race. Pour s’exprimer, cette volonté suppose un consentement libre (Liberté).
Le monarque règne sur des sujets qui n’ont pas de liberté politique et ne peuvent donc pas adhérer à la nation fraternelle et moins encore se représenter collectivement comme membres de cette Nation. Chateaubriand, monarchiste libéral, oppose le goût des Français pour l’égalité au goût des Anglais pour la liberté.
2 – Si les institutions napoléoniennes n’ont pas fait la parte belle à l’expression de la souveraineté nationale il est abusif de dire qu’elle en a été entièrement absente.

Certes, les constitutions qui vont se suivre pendant les 15 années de son pouvoir vont peu à peu limiter le rôle du suffrage universel : Constitutions de l’an 8 (à Röderer : il faut qu’une constitution soit brève et obscure) de l’an 10 (Consulat à vie), de l’an 12 (Empire) avant le projet avorté de retour à l’empire libéral de 1815.
Tout commence bien : au lendemain de Brumaire, les 3 consuls jurent d’être fidèles à la république une et indivisible, fondée sur l’égalité, la liberté et le système représentatif. La 1ère République avait bien couvert la Convention, la dictature de salut public de Robespierre et le Directoire !
Il rassemble les Français : Je ne suis ni bonnet rouge ni talon rouge, je suis national. J’aime les honnêtes gens de toutes les couleurs. Par la fin de la guerre civile, le compromis avec les insurgés royalistes de Vendée. Chaptal note avec humour qu’au premier conseil des ministres se côtoyaient des hommes qui, quelques années plutôt, se seraient envoyé à l’échafaud ! Il cherche à éviter : un nouveau Thermidor qui amènerait Louis XVIII et le retour des Jacobins qui s’étaient imposés à la fin du Directoire.
La Constitution de l’an 8 instaure un suffrage censitaire et semi universel (sans les femmes !) : les électeurs réunis au chef lieu de canton désignent le 10ème d’entre eux pour former une liste de notabilités communales qui désignent à leur tour des notabilités départementales puis nationales. Sur ces listes, le pouvoir choisit enfin les fonctionnaires communaux et départementaux et les membres des assemblées nationales (Conseil d’Etat, Tribunat, Corps législatif, Sénat)
Le Premier Consul qui avait failli échouer devant le Conseil des Cinq Cent où on avait crié hors la Loi le dictateur, encore pétri de sentiments républicains, conscient de la faiblesse de sa légitimité, instaure le plébiscite (on parle alors d’une République plébiscitaire). La Constitution de l’an 8 est approuvée par 20% du corps électoral (ouverture de listes nominales avec colonne de oui et de non), la Constitution de l’Empire (an XII), par 40%. Il est vrai qu’une fois Empereur, le peuple ne sera plus consulté. L’expérience nous a appris que les plébiscites ou les référendums qui sautent par-dessus la représentation nationale permettent de manœuvrer l’opinion publique plus que de connaître son état réel !
Le Consulat à vie (1802) transforme le régime en une nouvelle République inspirée par la dictature de salut public de César. Lucien Bonaparte la théorise dans un ouvrage que son frère n’appréciera pas : Parallèle entre César, Cromwell, Monk et Bonaparte.
Ce pouvoir reste fragile. Il dépend du sort des batailles. Il n’y aurait pas eu l’Empire sans Austerlitz. Et il ne manquait pas de généraux (Moraux, La Fayette, Bernadotte) pour le ramasser en cas de décès brutal du chef.
Par l’instauration de l’hérédité, la Constitution de l’Empire (1804) marque institutionnellement la fin de la République. Même si l’article 1er proclame : ” le gouvernement de la république est confié à un Empereur qui prend le titre d’Empereur des Français ” ; même si le préambule insiste sur la défense des acquis de la révolution (biens nationaux) ; même si la monnaie évoque à l’avers ” Napoléon Empereur ” et au revers ” République Française ” jusqu’en 1809 ; même si le 2 décembre, au couronnement, l’Empereur jure une fois encore son attachement aux acquis de la Révolution. Mais les règles de dévolution sont celles de la Monarchie.
A partir de 1804, on revient aux formes de l’ancien régime : l’apparat, la garde consulaire, les chasses et messes à St Cloud, les particules, l’étiquette. La Légion d’Honneur n’a-t-elle pas été dénoncée comme l’esquisse d’une nouvelle noblesse ?
Après César, c’est désormais la référence à Charlemagne, chef du Saint-Empire Romain d’Occident. Après Austerlitz, l’empereur d’Autriche perd son titre et devient simple roi. Napoléon accrédite l’idée qu’il prend sa succession à la tête du Saint-Empire d’Occident. Il s’est entièrement coulé dans le moule du monarque. Il est devenu le monarque le plus puissant de son temps.
A Tilsitt, NB partage l’Europe avec le tsar de Russie et convoque à Erfurt les roitelets d’Allemagne qui sont devenus ses protégés. Il a beau affirmer sous le regard ébloui de ses convives J’ai commencé ma carrière à Marengo comme simple sous-lieutenant (ce n’est pas tout à fait vrai) on est en bien loin de la République et du sous lieutenant jacobin qu’il avait été !
Pourtant Napoléon termine la Révolution en gardant ses acquis et non pas en la détruisant (ce n’est pas la Restauration) J’ai refermé le gouffre de l’anarchie et débrouillé le chaos, j’ai désouillé la Révolution – Le Mémorial.
Mme de Staël et Benjamin Constant ont raison de protester contre les atteintes à la liberté de la presse (NB rédacteur en chef du Moniteur) mais les proscrits sont peu nombreux (17 en 15 ans de gouvernement). Les crimes politiques également, à part l’exécution du duc d’Enghien et probablement du général Moreau. NB peut affirmer dans Le Mémorial : Mon gouvernement est étranger au crime.
Sa tentative de trouver une voie moyenne entre la république jacobine et la monarchie (comme l’on fait avant lui Mirabeau, Lafayette) l’aura déporté vers la Couronne. Ce sera la cause de l’échec de son système : le lien entre la France et son monarque a été définitivement tranchée par l’exécution du roi. La création d’une nouvelle dynastie était impossible après la Révolution. Robespierre n’avait fait que constater les faits lorsqu’il avait dit au procès du roi : sa mort est nécessaire pour que la révolution triomphe. En avril 1814 (déchéance par le Sénat et abdication) son fils, le Roi de Rome, ne règnera que quelques jours, pour la forme. Il n’y a pas de bonapartisme possible sans Bonaparte !
Mais l’histoire bégaye, un roi revint. Il apparut légitime aux monarchies européennes coalisées et victorieuses avec les nobles qui, selon l’expression de Talleyrand, avaient tout oublié et rien appris. C’est le peuple qui mettra fin par les Trois Glorieuses au règne de son successeur Charles X, puis en 1848 de son successeur Louis-Philippe. Avant la 2ème République, le retour d’un Bonaparte et un nouvel échec du pouvoir personne qui débouche sur la 3ème République proclamée en 1872.
3 – Une République gouvernée par un Empereur : Napoléon, Empereur et République Française sont-ils incompatibles ?
A défaut d’en avoir les apparences politiques, son gouvernement mène une politique républicaine. Car en même temps que la Liberté, il organise et codifie l’Egalité.
De même que la société et l’économie chinoise évoluent vers l’Occident sous un régime communiste de parti unique, la société du Consulat et de l’Empire évolue vers l’Egalité et plus de Liberté sous un gouvernement qui a repris les apparences de l’Ancien Régime.
Les caractéristiques du gouvernement républicain sont là :
NB exerce son pouvoir personnel au nom d’une conception de l’intérêt général. Nulle institution n’illustre mieux cette volonté que le conseil d’Etat (Molé, Portalis père et fils, Régnault de St Jean d’Angély, Bigot de Prémeneu, Boulay de la Meurthe). Je rappelle la probité de l’homme, et ses talents immenses : ” Pour les affaires publiques, administratives et militaires, il faut une forte pensée, une analyse profonde et la faculté de pouvoir fixer longtemps les objets sans être fatigué. ” et : ” Quant au courage moral, j’ai trouvé fort rare, celui de deux heures après minuit ; c’est-à-dire le courage de l’improviste qui, en dépit des évènements les plus soudains, laisse néanmoins la même liberté d’esprit, de jugement et de décision “
Au nom de l’intérêt général des Français, il crée une nouvelle administration (Conseil d’Etat, préfets, Cour des comptes) ” Le cadastre, tel que je l’ai arrêté, aurait pu être considéré à lui seul comme la véritable Constitution de l’Empire “
Il redresse les finances (Gaudin) et jette les masses de granit (code civil, administration, franc germinal jusqu’en 1914…) avec des hommes comme Chaptal ou Cambacérès.
Il développe l’Egalité et des libertés individuelles. J’aime cette instruction qu’il donne à l’un de ses Conseillers d’Etat : Surtout, n’y gênez pas la liberté, et bien moins encore l’égalité ; car pour la liberté, à toute rigueur serait-il possible de la froisser, les circonstances le veulent et nous excuserons ; mais pour l’égalité, à aucun prix. Dieu m’en garde ! Elle est la passion du siècle et je suis, je veux demeurer, l’enfant du siècle ! C’est bien l’ordre de ses priorités, celui de Rousseau plus que de Montesquieu et de Voltaire. Quel monarque français aurait pu tenir de tels propos ?
Le Code Civil (J’ai semé la liberté à pleines mains partout où j’ai implanté mon code civil) le Concordat, le nouveau Code Pénal assurent les libertés fondamentales : la propriété privée, des procès équitables. Les Concordats avec les 3 religions (catholique, protestante, juive) organisent la liberté des cultes et sont la première étape vers la laïcité.
Par ces réformes conduites avec volonté, ténacité et persévérance, il détruit les privilèges de l’ancien régime et jette les bases de la société moderne : l’égalité par l’école, l’université et les élites nouvelles ; la promotion par le mérite ; le progrès social par organisation de l’Etat, les masses de granit, des institutions modernes ; des libertés nouvelles codifiées comme en matière religieuse ou dans la propriété privée des terres.
Il est l’homme clé de la charnière de 80 ans entre la convocation des Etats-Généraux et la défaite de Sedan, de la transition entre la monarchie absolue et la république moderne (démocratique). Dans cette immense lutte du présent contre le passé, je suis l’arbitre et le médiateur naturel – Le Mémorial.
Il a ouvert des chantiers qu’il a laissés à d’autres le soin de parachever dans les domaines essentiels de la vie individuelle, familiale et sociale. Grâce à lui, l’essentiel des réformes voulues par les révolutionnaires de 89 ont pris forme et consistance. Elles ont directement produit la société dans laquelle nous vivons. Il est indiscutablement l’un des pères fondateurs de l’ordre politique qui nous gouverne, la République.


4 – A la chute du Second Empire, le refus des bonapartistes de soutenir la République crée une méfiance durable des Républicains à l’égard de Napoléon.
Je n’apprends rien à personne en affirmant qu’après la mort de Napoléon, et la lecture du Mémorial, les romantiques français, les Balzac, Dumas, Vigny, Stendhal, les intellectuels les Sainte-Beuve, les Michelet, les artistes, Berlioz, Delacroix derrière le très républicain Victor Hugo, vont s’emparer de sa mémoire et le transformer en héros de la révolution. Ils sont relayés en Russie par Dostoïevsky et Tolstoï, en Italie par Mazzini et Garibaldi….
Tous ceux-là préparent le terrain qui fera d’un Bonaparte le vainqueur de la 1ère élection d’un président de la République au suffrage universel, en 1848. C’est un inconnu qui porte un grand qui nom évoque l’ordre, la gloire et la prospérité dans les campagnes. Il gagne avec 74,2% des suffrages exprimés (LNB 5,4 M, Cavaignac 1,5 M, Ledru Rollin 370 000, Raspail 36 000, Lamartine 17 000)
Pendant son gouvernement le parti républicain émerge comme la principale force d’opposition avec Thiers, Jules Ferry et Gambetta proches du dernier Premier Ministre de Napoléon III, Emile Olivier. Les dernières élections de 69 témoignent d’une montée des républicains. L’Empereur met en place un gouvernement libéral autour d’Emile Ollivier et organise un plébiscite (mai 1870) sur une constitution plus libérale qu’il gagne haut la main par 7,4 M de suffrage contre 1,6. Nous sommes à 4 mois de Sedan ! La roche tarpéienne est proche du Capitole !
Après la défaite, l’exil en Angleterre et la mort de Napoléon III (9 janvier 1873) les bonapartistes sont confrontés à la question de la République : participer ou non aux élections, la combattre ou la soutenir ?
Au lendemain de Sedan (septembre 1870) Gambetta avait frappé d’inégibilité le personnel politique et administratif du régime dont la déchéance avait été votée en mars 1871. Mais dès l’année 1872, les bonapartistes présentent des candidats aux élections nationales. 75 députés sont élus en 1875 (la moitié de l’opposition de droite) et 104 en 1876, marquant le retour d’un bonapartisme populaire, paysans, petit peuple citadin, ouvriers parisiens. Dans la Nièvre, les mineurs de Decize se mirent en grève en 1875 au cri de Vive Napoléon IV ! Cette embellie sera de courte durée. Pourquoi ?
Les clivages politiques au sein du parti bonapartiste l’Appel au peuple nous sont connus par les travaux de l’américain John Rothney. Une droite réactionnaire qu’il qualifie de droite Coblence entretient des relations étroites avec les monarchistes légitimistes. Elle est conduite par Paul Granier de Cassagnac puis par son fils, propriétaires de L’Autorité, un journal qui se fait bientôt connaître par ses imprécations anti parlementaires. Le Prince Impérial, fils de l’empereur déchu, exilé, décalé par rapport au siècle, entouré de nostalgiques de l’Empire, sous l’influence de sa mère, l’Impératrice Eugénie, catholique conservatrice, se rattache à cette faction. Au centre du parti, une plaine dirigée par Rouher le vice empereur revendique l’héritage de 1789 et rassemble les tenants d’un césarisme démocratique. A gauche, la Montagne, proche des républicains, populaire et anti cléricale est dirigée par mon arrière grand-père, le prince Napoléon. Elle est très minoritaire. Pour lui, le principe de souveraineté nationale se confond avec le droit qu’a le peuple de désigner son chef. Il sera écarté du parti à la mort du prince Impérial en 1879. L’impératrice Eugénie et Rouher monteront son fils Victor contre lui.
La conclusion est donnée par René Rémond dans sa fameuse Les Droites en France : le drame du bonapartisme fut que le courant réactionnaire finit par l’emporter.
Les ministres et hauts fonctionnaires de Napoléon III avaient été recrutés parmi les notables de Louis Philippe et non parmi les Jacobins rescapés de la Terreur qui siégeaient autour de Bonaparte.
Issus pour la plupart de l’aristocratie ancienne ou nouvelle et de la haute ou moyenne bourgeoisie, les membres du parti sont d’anciens hauts fonctionnaires du Second Empire, défenseurs des positions qu’ils avaient acquises, appréciant mal l’évolution de la société, soucieux de la restauration des privilèges disparus. Hostiles à la République qui avait été hostile à l’Empire, ils appelèrent à l’alliance avec les monarchistes (qui reprirent à leur compte le principe plébiscitaire).
Alliance contre nature des Légitimistes contre les tenants de 1789. Alliance politiquement suicidaire. Le résultat ne se fit pas attendre. Aux élections de 1893, ils furent réduits à 12 députés. Ils seront encore 12 dans la chambre Bleu Horizon de 1919. Leur chef, mon grand-père, le prince Victor attendra 1910 pour proclamer son ralliement à la République. Il ne resta qu’un député, Taittinger, aux élections de 1924, le Bonapartisme était mort.
L’électorat conservateur s’était réfugié dans le courant national-populaire incarné par le Boulangisme (général jacobin poussé par Clémenceau, ministre de la guerre, partageant les idées de la gauche radicale en 1889) avant d’aller vers les ligues de 1930. L’électorat républicain se retrouva naturellement chez les radicaux-socialistes.
Le courant politique monarchiste résista mieux. Il eut des députés jusqu’à la veille de la 2ème guerre mondiale. Les électeurs conservateurs préférèrent l’original à la copie.
Les donnés de cette erreur politique sont parfaitement expliquées par le Prince Napoléon (fils aîné du roi Jérôme) dès 1883 :
Il y a, écrira-t-il, en plaidant pour l’alliance avec les républicains, deux politiques en présence. Celle des devoirs et celle des usurpations dynastiques. La première est la mienne, dictée par la glorieuse tradition de Napoléon 1er et de Napoléon III. Politique ferme mais ouverte, conciliante, d’apaisement, respectueuses des forces sociales si ébranlées, humaine envers les pauvres, honnête et fidèle avant tout à notre grande Révolution. La deuxième est une politique réactionnaire, cléricale, de haines, de vengeance, d’oppression, provoquant par des vantardises ridicules un appel à la violence, dont les buts et les moyens sont à rejeter absolument.
Et il précise : le règne des Bourbons ne saurait être que le triomphe d’une politique réactionnaire, cléricale et antipopulaire. Le drapeau de la Révolution abrite seul, depuis près d’un siècle, la gloire et les douleurs de la France.
N’est-on pas au cœur de l’impossibilité de réaliser la synthèse entre la monarchie et la république sans un Bonaparte ? Par définition, le bonapartisme est le projet d’un homme. C’est sa force, mais aussi sa faiblesse.
L’allergie de la majorité des Bonapartistes à la 3ème République, leurs alliances politiques avec les monarchistes, leur glissement progressif vers la droite anti parlementaire renforça durablement l’hostilité de beaucoup de Républicains au Coup d’Etat de 1851 (rôle de Victor Hugo).
Ces données expliquent, mieux que l’absence de démocratie dans les gouvernements de Napoléon, mieux que les morts de ses campagnes (bilan de Verdun 700 000 morts), pourquoi la République n’a plus reconnu Napoléon Bonaparte comme l’un des siens. Voici pourquoi ma famille fut exilée en 1886 dans une proscription qui touchait d’abord la famille royale. Elle explique enfin la manière dont Napoléon a été traité dans les manuels scolaires de l’enseignement républicain et on sait les difficultés qu’ont éprouvé les historiens français à présenter son œuvre de manière objective jusqu’à une période récente.
On se prend à rêver au régime qui serait né d’une alliance entre les Républicains socialistes et Radicaux de Gambetta, de Jules Favre, d’Arago et de Clémenceau et le mouvement bonapartiste, alliance naturelle autour des principes de 1789 contre les conservateurs partisans du retour à l’ordre ancien. Une sorte de démocratie autoritaire à vocation sociale, préfigurant la 5ème République … Mais c’est un autre sujet !
C’est désormais à la science historique de rétablir la vérité : si Napoléon n’a pas un républicain au sens contemporain du terme (et comment aurait-il pu l’être ?) c’est l’un des hommes qui a le plus puissamment contribué à jeter les bases de la République, c’est l’un de ses pères fondateurs.
En conclusion
Je voudrais livrer quelques réflexions de Plon-Plon sur l’œuvre de Napoléon qu’il connaissait bien (il avait été chargé par Napoléon III de la première publication de l’intégralité de sa correspondance). Extraits de Napoléon et ses détracteurs (en réponse à Hippolyte Taine) écrit avec le concours de Fréderic Masson :
Dans Paris soulevé, il a affirmé à coups de canon la république contre la Royauté. Partout où Napoléon laisse se rétablir les vieilles royautés…il est certain que ce sont ses ennemis qu’il aura derrière lui et qui, au premier échec se jetteront contre la France.
Oui, dans le système napoléonien de 1809 à 1813 on est à l’aise pour critiquer. Certaines institutions sont restées inachevées, d’autres ont été exagérées. La noblesse impériale, dont la conception a été grande, a eu un résultat fatal. Elle s’est presque toute ralliée aux ennemis de son fondateur.
Quand on compare son œuvre civile à ses institutions politiques, on voit bien qu’il se réservait le soin d’achever l’édifice dont il se bornait à jeter les fondements. Il avait compris que sur ce sol mouvant on ne pouvait pas encore asseoir une organisation définitive et qu’il fallait laisser à la démocratie le temps de fixer ses conquêtes avant d’arrêter la forme dans laquelle elle trouverait ses garanties et ses droits.
Le problème politique reste donc entier, c’est à notre génération qu’il appartient de le résoudre. Je demeure convaincu qu’il y a dans cette œuvre immense et inachevée l’idée fondamentale, le principe essentiel du gouvernement de la démocratie française.
Il n’y a ni virgule ni iota à changer.
Charles Napoléon

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