Les Femmes dans l’Armée

LES FEMMES DANS LES ARMÉES DE NAPOLÉON

UNE IMMENSE PAGAILLE !
Dans l’Antiquité, le soldat grec était accompagné de son épouse qui accomplissait toutes les tâches, comme à la maison.
Un décret du 8 mars 1793 permettant aux soldats de se lier par les liens du mariage, une foule de femmes suit les hommes, embarrassant la marche des troupes.
Quand Carnot inspecte en 1793 l’armée à Douai, il trouve 3.000 femmes dans les casernes pour..350 combattants ! Il écrie à l’armée du Nord :
Un fléau terrible détruit nos armées : c’est le troupeau de femmes et de filles qui sont à leur suite. Il faut compter qu’il y en a autant que de soldats. Les casernent et les cantonnements en sont engorgés.. Elles énervent les troupes et détruisent par les maladies qu’elles y apportent, dix fois plus de monde que l’ennemi.
Le 3 mai 1793 la Convention prend le décret n°804 :
Art.1 : Dans la huitaine du jour de la promulgation du présent décret, les généraux, les chefs de brigades, et tous les autres chefs feront congédier des cantonnements et des camps toutes les femmes inutiles aux armées.
Art.2 : Seront au nombre des femmes inutiles celles qui ne seront point employées au blanchissage et à la vente des vins et des boissons.
Art.3 : Il y aura par chaque bataillon 4 blanchisseuses : elles seront autorisées à faire ce service par une lettre du chef du corps visée par le commissaire des guerres. Elles porteront une marque distinctive.
Art.4 : Les femmes qui ne seront point pourvues de lettres d’autorisation seront exclues des cantonnements et des camps.
Art.5 : Seront comprises dans cette exclusion les femmes des officiers généraux et de tous autres officiers.
Art.6 : Ceux, dénommés dans l’article précédent, qui s’opposeront à cette disposition encourront la peine de prison pour la première fois, et ils seront destitués s’ils récidivent.
Art.7 : Les généraux divisionnaires délivreront aux vivandières qu’ils croiront absolument nécessaires aux besoins de leurs divisions une marque distinctive. Celles qui ne seront point munies de cette marque seront congédiées
Art.8 : Celles qui auront obtenu la marque ci-dessus désignée, et qui ne feront aucun commerce de vin et de boissons, seront congédiées ; leur marque leur sera retirée sur-le-champ et remise au général divisionnaire.
Art.9 : Les vaguemestres et voituriers ne recevront sur les voitures que les femmes porteuses de lettres d’autorisation visées par les commissaires des guerres.
Art. : 10 : L’accusateur militaire, les commissaires des guerres, et la gendarmerie nationale veilleront soigneusement à l’exécution du présent décret.
Art.11 : Les femmes qui servent actuellement dans les armées seront exclues du service militaire ; il leur sera donner un passeport et cinq sous par lieue pour rejoindre leur domicile.
Art. 12 : Les femmes reconnues pour être les épouses de militaires actuellement à l’armée, et qui ne seront point ou blanchisseuses ou vivandières, seront tenues de se retirer à leur domicile ; il leur sera donné cinq sous par lieue.
En résumé, il y aura quatre blanchisseuses par bataillon, recevant une autorisation du commandement. Les généraux de division donneront une marque distinctive aux vivandières qu’ils estimeront strictement nécessaires.
Toutes les autres seront congédiées, y compris les femmes des officiers. Les gradés qui s’y opposent feront de la prison puis seront congédiés s’ils récidivent. Les femmes reconnues épouses de militaires seront tenues de se retirer à leur domicile. On leur donnera cinq sous par lieue. ( environ un euro pour quatre kilomètres)
Mais, sous le Directoire, la discipline se relâche. Bonaparte intervint et décide le 8 germinal que :
Toute femme qui sera trouvée à la suite de l’armée sans y être autorisée, recevra une correction publique, sera chassée de l’armée et reconduite deux marches en arrière.
(La correction consistera à avoir le visage enduit de cire noire)
Plusieurs femmes suivent l’armée d’Italie ; Bonaparte dit à Masséna : Que diable, qu’on les laisse à la maison.
Remarque de simple bon sens, comme en atteste dans son journal le canonnier Bricard : Le soldat n’a pas besoin de ces femmes puisque sur la route, il trouve des amours faciles. Toutefois, il souligne : Les italiennes sont charmantes femmes à la chambre non au ménage.
Mais si des ” au-revoir ” semblent simple comme ceux du Général Bonaparte à Joséphine, il est des ” adieux ” déchirants comme ceux de ce sous-lieutenant de la compagnie d’élite du 9° de Hussards et de sa fiancée enceinte.
Le 26 juillet 1800, il faut revenir sur le sujet : le Premier Consul signe un ” arrêté relatif aux enfants de troupe et aux femmes à la suite des armées “. Art. XV : ” Les dispositions de la loi du 30 avril 1793, concernant les femmes à congédier des armées, seront exécutées suivant leur forme et teneur .. “
Rien n’y fera ! Il y aura toujours autant de femmes !
Qui sont ces femmes ?
Il m’a fallu constater qu’il n’était pas possible de faire un exposé avec la rigueur de l’universitaire et sa rigidité. Au sens sociologique, il n’y a pas de typologie acceptée.
Nous sommes dans une époque où tous les repères ont volé en éclats.
Une époque où toutes les lois ont été abolies, puis rafistolées dans l’urgence.
Une époque où s’ajoute à la guerre civile (Vendée, Proscription, Terreur, Emigration d’une partie des élites civiles et militaires) une guerre étrangère où nous verrons des coalitions successives tenter d’abattre la Révolution Française, puis celui qui en sera le continuateur et le paracheveur.
L’armée de France ne sera jamais plus ces bataillons de lanciers, arquebusiers, lansquenets, suisses, saxons ou autres, mercenaires du Roi ou propriétés du Colonel- Commandant.
Ce sera une armée de citoyens, puis de compagnons d’armes du ” petit Tondu “, une armée qui défend un idéal, une armée en perpétuel mouvement. Il faudra en inventer la structure, le mode de fonctionnement, dans une société en position de survie et en gestation d’un ordre nouveau.
Il n’y a pas d’Histoire écrite, il y a des histoires rapportées.
Il n’y a pas de biographies, il y a d’humbles vies décrites de façon éparse, dans des souvenirs, des correspondances.
A part quelques aventurières, la constante de ces femmes sera la résistance, la ténacité, le courage, l’abnégation, l’impérieuse nécessité d’affronter le destin et de rester en vie
LES EPOUSES et LES FAMILLES
Dans l’armée, tous les hommes ne sont pas militaires : beaucoup sont commissionnés : bottiers, tailleurs, musiciens, et même les ” livreurs de pièces d’artillerie “. Le projet de Train des Equipages ne voyant le jour qu’en 1804.
Ce sont les petites épouses des obscurs, des sans grades ou des petits gradés qui ne peuvent compter que sur la débrouillardise de leur homme pour ne pas tomber dans une misère dégradante. Mais aussi toutes les épouses qui ne veulent pas être séparées de leur hommes, les fiancées, les amoureuses et .. les maîtresses.
Le Musicien Jean-Philippe Girault : Jean-Pierre Deconinck lui a donné la parole, de si belle façon, le mois dernier : c’est lui qui faisait cette description si remarquable des hôpitaux de l’avant.
En 1806, avec Lucile et sa petite fille, il se lance sur les routes. Il a acheté un cabriolet et un cheval.
La petite famille traverse la France sans encombre en direction de l’Italie – Turin, puis Alexandrie, où le couple loue un petit appartement : la vie d’un musicien d’état-major offre des agréments qui feraient pâlir d’envie un troupier, voire un officier subalterne. Mais l’enfant meurt de la petite vérole.
Les Girault repartent. Ils font un séjour à Vérone, puis gagnent Augsbourg, en Bavière, via le Tyrol qu’ils traversent sous la neige et sans s’arrêter un seul jour. A Halle, le cheval, prenant peur, renverse la carriole où se trouve Mme Girault, alors enceinte. Plus tard prés de Donauwôrth, nouvelle chute, dans le Danube cette fois.. Un voltigeur sauve la naufragée qui s’est réfugiée sur le toit de la voiture. Girault, très inquiet, accourt sur les lieux et trouve son épouse dorlotée par les militaires. Un peu éméchée aussi car, pour la échauffer, les soldats lui ont administré une boisson un peu forte.
Le lendemain, elle repart pour Stettin où elle arrive le 13 juin 1807, juste à temps pour accoucher. Dans cette ville où s’entassent douze mille soldats, les Girault, ont la chance de pouvoir être logés seuls. Mais le lendemain, ordre est donné au régiment de faire route.
Girault réussit pourtant à attendrir l’épouse d’un personnage important dans les armées de l’Empire, le maître cordonnier ! Cette femme accepte de veiller sur la mère et sur l’enfant. Girault suit les troupes. Après la paix de Tilsitt, il part en Poméranie suédoise au siège de Stralsund. Dès que la cité se rend, le musicien fait venir sa femme. Ils restent là un mois avant de repartir pour Brème – où l’enfant est enfin baptisé – puis le Danemark.
Lassé, Girault rencontre le secrétaire de son colonel: “Pourquoi, lui dit ce dernier, n’emmenez-vous pas votre femme au camp et ne lui feriez-vous pas tenir cantine ? Vous ne seriez pas séparés et vous gagneriez de l’argent. ” Et, avec générosité, il propose à Girault de mettre de l’argent à sa disposition pour les premiers achats.
Lucile effectue les premiers achats destinés à sa pratique, de quoi manger, beurre, fromage, et, surtout boire : vin, eau-de-vie, rhum, et bière. Et les affaires prospèrent ! Ils doivent repartir. Destination : le Hanovre et la Westphalie où le roi Jérôme refuse de recevoir les vaillants mais turbulents troupiers de son frère. Lucile est enceinte une nouvelle fois. Sagement, son mari décide de l’envoyer à Poitiers où, précise-t-il, elle fut bien reçue dans sa famille. Le 9 février 1807, elle met au monde un autre petit Girault qu’elle prénomme Philippe-Georges-Benjamin.
Le musicien lui-même commence se lasser de cette errance sans fin, sinon sans but. La deuxième campagne d’Autriche, au cours de laquelle il aide à panser les blessés d’Essling et ceux de Wagram, marque la fin de sa carrière, ne disons pas de soldat, mais de musicien des armées en 1810,.
Autre témoignage, celui là d’un brigadier des boulangers (!) de la 3e division du corps d’armée, parti pour la Russie avec son épouse, et qui rend compte à sa sœur, qui garde les enfants à Sarrebourg :
Nous avons marché depuis cent cinquante jours sans nous arrêter pour arriver à Moscou. Je vous envoie 1200 francs que ma femme a gagnés, et je vous en enverrai d’autres. Vous direz à nos filles qu’elles soient bien sages et prient bien Dieu pour papa et maman. Si vous voyiez comme j’ai deux beaux chevaux, cela vous ferais plaisir; tu diras à maman que ma femme a un beau manchon pour elle. “
Nul ne sait s’il revinrent de là-bas…
En Espagne, beaucoup de femmes environnent l’Armée : épouses, concubines, maîtresses occasionnelles ou simples aventurières. Elles sont françaises, mais aussi espagnoles ou portugaises. Il leur faut beaucoup de courage ou d’inconscience pour se risquer dans l’Espagne en guerre car c’est autre chose que de se déplacer en Europe du Nord. Quand Soult évacue l’Andalousie en 1812 un témoin note : ” Sur la route se presse un amas confus de fantassins et de cavaliers, de caissons et de calèches, de fourgons et de mulets, d’ânes et de charrettes .Des femmes, encore des femmes, sur des charrettes, sur des ânes, à cheval, à pied “. Mais deux se distinguent du lot, menant grand équipages : ce sont les ” maréchales “, deux sœurs issues d’une des plus grandes familles de Séville. L’aînée, dont le mari est colonel dans l’armée espagnole, est la maîtresse du Maréchal Victor, la seconde, célibataire, est la maîtresse de Soult. Mais on voit aussi la maîtresse d’un général devenir celle d’un capitaine puis d’un sergent. ” Il est bien rare que ces dames montent en grade ” plaisante un mémorialiste.

Autre épouse, Henriette Lebreton, femme d’un capitaine de Dragons, suit son époux puis devient ” la poule de Masséna ” qu’elle suivra au Portugal. Celui-ci n’a accepté ce commandement que sous la condition que Mme Lebreton l’accompagne, ce que l’Empereur accepte !!! Masséna, tout à sa passion, ne fréquente qu’au strict minimum ses grands subordonnés, Ney, Junot, Reynier, ce qui entraîne un manque fâcheux de coordination. Masséna ” folichonne ” disent-ils. Un vieux capitaine s’attriste : ” Le Maréchal n’est plus qu’un vieux renard, tout juste bon à prendre les poules “.

Et puis, n’oublions pas
LES FEMMES PRISES DE GUERRE
Deux simples exemples :
En Espagne, début 1809, les soldats de Soult et Ney découvrent dans les convois de Moore de jeunes et jolies anglaises. Ils se les partagent en les mettant aux enchères.
Un musicien dans la Grande Armée, originaire de Genève et surnommé Petit-Louis rapporte dans ses souvenirs l’histoire suivante :
Siège de Magdebourg, 1806 : Les assaillants crèvent de faim. Chaque jour partent des corvées de maraude. Un jour le nommé Maubert rentre le sac vide : rien de rien, de rien, sauf une jolie allemande de 18 ans qu’il a protégée des brutalités de soldats en se faisant passer pour un officier. Surprise, puis algarade, en allemand, entre Maubert et le soldat Hantz : ” Il fallait nous apporter des vivres et pas nous ramener cette fille qui est jolie, certes, mais qui nous mangera une partie de ce que nous avons eu tant de mal à nous procurer “. La pauvre fille supplie : ” Ne me renvoyez pas en milieu de tous ces soldats. Je me rendrai utile, je laverai vos chemises “. Hantz a une idée : ” D’accord, mais à la condition que ce soir elle appartienne à toute la brigade, au nombre de douze. ” Ce triste marché est conclu. Dernier du groupe, Petit-Louis ne consommera pas.
La jeune allemande devient la propriété de son découvreur. Il ajoute qu’elle devint une excellente cantinière et qu’elle s’attira le respect sans faille de l’escouade de musiciens.
LES GUERRIERES
La Grande Armée compta dans ses rangs des femmes qui faisaient le coup de sabre ou le coup de feu. On ne peut savoir leur nombre : elles entraient au service déguisées en hommes et sous un nom masculin. Ce n’est que dans des circonstances exceptionnelles, comme une blessure, que leur véritable nature était découverte.
Thérèse Figueure, dite ” sans-gênes “. La vraie, certainement une des plus connues de ces femmes guerrières : le général Cafarelli dira d’elle : “Je n’ai jamais connu de soldat plus brave. ” ! Elle nait en 1774 ; après quelques péripéties guerrières, elle s’enrôle dans la Légion des Allobroges. Elle se retrouve au siège de Toulon, où elle est blessée à la poitrine ; On la retrouve dans l’armée des Pyrénées-Orientales, en lutte contre les Espagnols. Lorsque le Comité de Salut Public décide que les femmes ne pourront plus servir dans l’armée, les officiers signent une pétition. Thérèse restera. Elle fait la 2° campagne d’Italie. Bonaparte la remarque et lui demande d’être Dame de compagnie de Joséphine. L’Empire institué, elle reprend du servie dans les Dragons, assiste à la capitulation d’Ulm. Elle est à Austerlitz, à Iéna où dit-elle ” j’ai fait ma petite partie dans le grand concert que nous donnâmes dans les plaines d’Iéna à messieurs les Prussiens”. Une grave chute de cheval l’immobilise18 mois. En 1809 elle est rattachée au régiment de la Jeune Garde, dans la région de Séville. C’est l’atroce guerre de guérilla. Elle accomplit l’exploit de s’attirer le respect de la population par sa compassion. Fin juillet 1812, elle est capturée par les guérilléros. L’humanité dont elle a fait preuve pour les populations lui vaut un régime très spécial : elle n’est ni violée, ni torturée, ni découpée en morceaux. Transférée en Angleterre, elle en apprécie la bière ” un bon pot par jour “. Elle est libre en 1814, mais ne peut participer à Waterloo. Elle meurt dans un hospice en 1861 à l’âge de 85 ans, inconsolable de n’avoir reçu la Légion d’Honneur.
Virginie Ghesquire entre au 27° de Ligne à la place de son frère. Promue Sergent, elle sert jusqu’en 1812. Découverte femme, elle est renvoyée dans ses foyers.
Marie-Angélique-Joséphine Duchemin née en 1772, suit son mari au 42° de ligne. Elle participe à sept campagnes, est blessée à trois reprises, et accède au grade de sous-lieutenant. Elle se distingua notamment en Corse en défendant un poste contre les Anglais le 5 Prairial An 2. Elle est admise aux Invalides et elle attendra 1851 pour recevoir la Légion d’Honneur.
Madame Poncet, née en 1773, suit son mari au 6° Hussard, se distingue à Eylau, est blessée à Friedland. De nouveau blessée à Waterloo, elle est amputée d’une jambe. Prisonnière des Anglais, elle rentre en France en 1830.
Maria Schellinck de Gand a une enfance difficile. Orpheline de père, son oncle la fait travailler dans une auberge, puis sa mère la prostitue. Elle se marie et suit son époux en 1790 au 2° bataillon belge, déguisée en homme. Elle devient caporal, puis sergent. Elle se distingue à Jemmapes où elle est blessée d’une balle à la jambe et gagne ses galons de sous-lieutenant. Elle se distingue à nouveau à Arcole en 1796. Elle quitte l’armée en 1807. En 1808 (elle a 52 ans), elle reçoit la Légion d’Honneur des mains de Napoléon qui lui dit ” Madame, je vous fais 700 francs de pension et Chevalier de la Légion d’Honneur. Recevez de ma main l’étoile des braves que vous avez si noblement conquise “, puis, se tournant vers ses officiers ” Messieurs, inclinez-vous respectueusement devant cette femme courageuse. C’est une des gloires de l’Empire “. Marie Schellinck meurt à l’âge de 83 ans.
LES VIVANDIERES, CANTINIERES, BLANCHISSEUSES.
Aucune définition administrative stricte n’existe. La cantinière est la femme du cantinier qui s’occuperait des comestibles. La vivandière, aurait pour badge et pour arme un tonnelet de ” gnôle ” et des gobelets, et la blanchisseuse blanchirait. (2 pour 1000 hommes !)
L’habillement : Il n’y a jamais eu d’uniforme pour les cantinières. Ces femmes pour lesquelles rien n’est prévu, portent ce qu’elles trouvent ou ce qu’elles obtiennent moyennant une grosse rasade de tord-boyau, c’est-à-dire des produits de rapine. Le pharmacien Cadet de Gassicourt décrit : ” Cette vivandière avait environ trente ans. Sa mise était bizarre, mais propre ; son accoutrement consistait dans une jupe de toile peinte, une veste de drap gris, une ceinture de peau, des guêtres, un vieux feutre qui couvrait sa tête déjà enveloppée d’un mouchoir de marmotte “. Le capitaine Elzéar Blaze ajoute dans ses Mémoires : ” Supposez-les présentées ainsi vêtues sur un cheval flanqué de deux énormes paniers, et vous aurez une idée du coup d’œil bizarre que tout cela représentait “
Ce ne sont pas des gravures de mode, la propreté et l’élégance ne sont pas leurs qualités dominantes : il faut être solide pour transporter le matériel, faire obéir un cheval indocile, il faut être solide pour résister aux marches sous la pluie, dans la neige, aux bivouacs incertains, il faut avoir de la voix pour se faire entendre dans les bruits de la bataille ou dans un essaim de soldats avinés après le combat. Elles ont toutes les qualités pour devenir les homologues des vieux grenadiers.
Au campement, leur tente sert de ” bistro ” où l’on vient se désaltérer, discuter, s’enivrer.
Comment commencent-elles leur carrière : à pieds. Au bout de quelques temps, suivant leur débrouillardise, elles sont juchées sur un cheval qu’elles ont ” trouvé ” ou acheté, pour le prix d’un tonnelet, à un soldat qui a ” trouvé ” un cheval. Elles y amoncellent les barils, saucisses, cervelas.
Sur le champ de bataille, les cantinières sont chargées de désaltérer les soldats aux lèvres desséchées de déchirer les cartouches de poudre avec les dents. Sous le feu de l’ennemi, il est de tradition qu’elles distribuent l’alcool gracieusement ou plutôt gratis. Mais elles savent ravitailler les rangs en munition et même se battre, prenant les mêmes risques que les combattants, plus les risques spécifiques à leur sexe quand elles tombent aux mains de l’ennemi. Elles sont beaucoup plus exposées en Espagne, où leur hantise est de tomber aux mains de la guérilla.
Le souvenir de certaines est parvenu jusqu’à nous :
Marie Tête de Bois : fait 17 campagnes. Mariée à un grenadier, elle a un garçon qui recevra un fusil d’Honneur à 15 ans et sera sous-lieutenant à 20 ans. Veuve, elle ira chercher sur le champ de bataille le corps de son fils tué en 1814 sous les murs de Paris. En 1815 on la retrouve cantinière dans la Garde. Blessée par un biscayen qui transperce son tonnelet et l’atteint au ventre, elle rampe vers un soldat blessé ; une balle perdue lui emporte une partie du visage. Le blessé lui dit ” Marie vous n’êtes pas belle comme ça “. Elle répond : ” C’est possible, mais je peux me vanter d’être fille, femme, mère et veuve de troupier “.
Catherine Balland : cantinière au 95° de Ligne, se distingue à la bataille de Chiclana (Espagne) le 5 mai 1811, distribuant de l’alcool sous le feu. Elle reçoit la Légion d’Honneur en 1813.
Madame Cazajus : cantinière au 57° de Ligne, seconde les soldats sous le feu à Lomitten près de Friedland le 5 juin 1807. Elle reçoit de Napoléon une chaîne en or. Elle est citée pour son action à la bataille de Guttstadt : ” Parmi les traits de bravoure et d’héroïsme, il en est un qui offre peu d’exemples puisqu’il appartient à un sexe que la nature a rendu timide dans les dangers ; c’est celui de la nommée Cazajus qui, malgré une grêle de balles, pénétra deux fois de suite jusqu’au ravin où nos troupes se battaient pour leur distribuer gratis deux barils d’eau de vie.”
Marie Dauranne ; blanchisseuse à la demi-brigade de bataille sauve de la noyade un soldat au passage de la Piave en 1797. Il lui est attribué un collier en or orné d’une couronne civique.
Marie ? : fait la campagne de Russie. Plus tard elle est blessée à la bataille de Lutzen en transportant des cartouches dans une main et de l’eau de vie dans l’autre. Elle sera prisonnière des Anglais à Waterloo.
La Mère-la-Joie : du 36° de Ligne, transforme son petit fourgon en ambulance les jours de bataille.
Catherine Béguin : du 14° Léger, conduit son mari blessé sur son dos jusqu’à l’ambulance.
Thérèse : ” Laide à faire peur “, mais ” peu de femmes ont eu la jambe aussi bien faite ” affirme un soldat. Séduite à 15 ans par un tambour, elle monte en grade avec un capitaine. Abandonnée, elle devient fille publique. Elle séduit un canonnier qui la vent pour une bouteille d’eau de vie à un maître d’armes qui sera tué en duel. Elle suit un brigadier qui boit le bénéfice de la cantine et la bat. Elle le quitte pour un soldat du train d’artillerie. Arrive un dénommé Fromageot qui veut Thérèse. Le soldat s’y oppose ; Boum, il est mort ! Thérèse conclut ” Ma foi, j’ai suivi Fromageot “.
Voici pour les Images d’Epinal !
Jamais aucune guerre n’a été fraîche et joyeuse ! Tous les sentiments humains y sont poussés à leur paroxysme. Tentons une plongée (qui sera éprouvante) dans la réalité.
Par définition une guerre est une confrontation, une succession d’agressions de toute nature.
Au milieu du XX° siècle Hans Selye décrit le syndrome d’adaptation aux agressions : il décrit l’état réactionnel physiologique et psychologique de l’organisme soumis à une agression et lui donne le nom de ” stress “. Sont, alors, déversés des tombereaux d’hormones : adrénaline, cortisone, testostérone, de neuro-transmetteurs etc. On peut assister alors à l’apparition de capacités que l’on pouvait penser surhumaines. C’est là qu’on peut trouver la capacité à résister à une amputation où des blessures terribles.
On demande au soldat de contraindre, de brutaliser, d’anéantir son adversaire. Dans le combat de mêlée, il n’y a pas de quartier ; c’est tuer ou être tué. Après cette montée aux extrêmes, le retour au calme n’est que progressif. C’est alors que se produisent tous les débordements qui sont la hantise du commandement qui ne parvient pas toujours à les canaliser.
Soumis à ces tensions extrêmes, en contact quotidien avec la mort, ils apprécient le réconfort d’une présence féminine pour évacuer leur peur, voire leurs remords. Cette présence féminine dans leurs rangs est appréciée des hommes, même lorsqu’ils sont officiers. Elles jouent le rôle de confidentes, d’assistantes sociales.
Sur le champ de bataille, elles font aussi fonction d’infirmiers, d’aumôniers, soignant les blessés et aidant certains à mourir, en recueillant leurs confidences et leurs dernières volontés.
A l’occasion, la cantinière sait remonter le moral du soldat en lui accordant certaines faveurs, mais ce ne sont pas des ribaudes. ” ce n’est chez elles que de la bonté d’âme ” souligne un soldat.
Mais, elles aussi ont vécu ces périodes désespérées et peuvent ressentir, dans la phase descendante du stress, le besoin de réconfort dans des bras vivants et robustes.
On est loin des caricatures de la cantinière à la belle jambe, à la taille fine qui se laisse caresser les fesses.
Non, messieurs : comme le Consul, comme l’Empereur, disons devant ces femmes, ” Chapeau bas “.

Conférence donnée par le Docteur Jean-Claude Vuchot pour le compte de Bonaparte à Valence à Valence le 4 mars 2010.


EN COMPLEMENT UNE BIOGRAPHIE DE THERESE FIGUEUR (Par Claude Magnan)

Thérèse FIGUEUR

FIGUEUR Thérèse (Talmay, Côte d’Or, 16 janvier 1774) : père meunier ; mère décédée à sa naissance.
Dès son jeune âge, elle est entraînée par un oncle dans les rangs des Fédéralistes d’Avignon, mais est faite prisonnière. Elle s’engage alors dans la Légion des Allobroges et assiste au siège de Toulon. Son corps est alors versé au 15ème dragons à Castres. Elle sert à l’armée des Pyrénées-Orientales sous Dugommier qui décide de la conserver pour sa bravoure, faisant fi du décret de la Convention. Elle mérite alors pour sa bravoure le surnom de Sans-Gêne.
A l’affaire de la Fluvia, elle sauve plusieurs blessés de la 17ème DB. Passée à l’armée d’Italie de 1795 à 1799, elle est faite prisonnière en 1799 et vite libérée. A peine remise de ses émotions, elle est faite prisonnière à Savigliano, mais libérée sur ordre du Prince de Ligne. Cet homme plein d’esprit aurait dit alors : ” connaissez vous rien de semblable ? Une femme ! Il n’y a pour une telle chose que ces diables de Français ! “.
En 1800, elle est dirigée sur le dépôt du 15ème dragons à Lons-le-Saulnier, et obtient un congé absolu ( avec pension de 200 fr.). Elle retourne s’engager au 9ème dragons qui tient garnison à Paris, au quartier de l’Ave Maria, et dont le colonel est Horace Sébastiani. Puis elle passe quelques mois auprès du maréchal Augereau, au château de la Houssaye. Elle suit la Grande Armée et sert en 1805, puis à Iéna en 1806, mais elle est fortement contusionnée par une chute de cheval sur la route de Berlin. Elle reprend alors du service en 1810 et rejoint l’Espagne et le 15ème dragons. Tombée entre les mains de l’ennemi à Burgos, elle est faite encore une fois prisonnière en janvier 1812. Elle est livrée par des Ecossais à des Portugais qui maltraitent les prisonniers. Retenue prisonnière à Lisbonne, elle est ensuite envoyée en Angleterre, à Bolderwood. La chute de Napoléon la libère en 1814.Pendant les Cent Jours, patronnée par le général Lefebvre-Desnoëttes, qui avait été également prisonnier en Angleterre, et revêtue d’un flambant uniforme des chasseurs à cheval de la Garde, elle se trouva sur le passage de Napoléon aux Tuileries, et si l’on l’en croit, le Maître la reconnut encore : ” Mademoiselle Sans-Gêne a donc quitté les dragons pour les chasseurs ? “. Puis, sachant qu’elle revenait de captivité d’Angleterre, il lui fit donner de l’argent. Elle se marie le 2 juillet 1818 avec un maréchal des logis de la Gendarmerie des chasses. Veuve 11 ans plus tard, elle termine son existence à l’hospice des Petits-Ménages où elle meurt le 4 janvier 1861.
Son certificat de service, rédigé au 15ème dragons (escadron complémentaire), rapporte : ” Le conseil d’administration de l’escadron complémentaire du 15ème régiment de dragons, certifie à tous qu’il appartiendra que la dénommée Thérès Figueur, dite Sans-Gêne, fille de Pierre Figueur et de Claudine Viard, née en 1774 à Talmay, département de la Côte-d’Or, est entrée au service comme dragon depuis l’an II républicain, époque de l’incorporation au dit corps de la Légion Allobroge, qu’elle a fait son service avec zèle et qu’elle a donné des preuves de courage d’autant plus remarquables, qu’elles semblent être exclues de la faiblesse de son sexe. Son dévouement, sa bravoure peu ordinaire, même parmi les hommes, la rendent recommandable, et le conseil d’administration la recommande à toutes les autorités civiles et militaires auxquelles elle se présentera ” (Lons-le Saulnier, le 7 brumaire an IX, 29 octobre 1800).

ANNEXE :

Au hard des documents et registres exploités (surtout Archives départementales), j’ai trouvé ces femmes

3 prisonnières de guerre
DESSAUT Margaritta (33 ans, Suède)femme autrichienne, attaché au régiment de Kolly (PdG. Morte à Valence 17 mars 1806.
GGERGGINN(22 ans, Schai, Hongrie)femme hongroise du régiment François Charles, compagnie Galicki. PdG. Morte Valence 6 avril 1806.
SCHARF Mariannefemme autrichienne, née en Bohême. Entrée hôpital de Romans 4 avril 1814.

1 vraie drômoise (la seule trouvée à ce jour)
CHALVIN Louise (30 ans. Saint-Laurent-en-Royans)blanchisseuse 1 compagnie du I/69(ou 67Entrée hôpital Perpignan 19 octobre 1812. Morte de fièvre 18 février 1813.

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